Bertrand Piccard

Inventeur du futur

Il est le dernier d’une lignée d’inventeurs. À son grand-père, Auguste, nous devons le bathyscaphe, il fut le premier homme à atteindre la stratosphère, inspirant au passage le professeur Tournesol d’Hergé. Son père, Jacques, pionner dans l’écologie marine, découvre des traces de vie au point le plus profond des océans, lors de sa plongée historique dans la fosse des Marianne. Lui, Bertrand, médecin psychiatre de formation, a choisi le ciel pour écrire son prénom.

D’abord dans la capsule de Breitling Orbiter, premier tour du monde en ballon sans escale (mars 1999). Puis dans le cockpit de Solar Impulse, l’incroyable avion solaire avec lequel il accomplit le tour de la planète sans la moindre consommation d’énergie fossile, entre mars 2015 et juillet 2016, avec la complicité d’un autre pilote, André Borschberg. Depuis longtemps déjà, il voulait réconcilier écologie et économie. Bertrand Piccard et la Fondation Solar Impulse se sont donc fixés un nouveau défi, « 1 000 solutions » propres et rentables pour protéger l’environnement. Bref, médecin, aventurier, explorateur d’avenir, maître des technologies innovantes, défenseur impatient de la planète auprès des dirigeants du monde… On l’appelle le « savanturier ». Le surnom concentre ses missions. Elles sont lumineuses.

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Quel est le projet qui, actuellement, vous tient à cœur ?
Créateur de tentations

BP Je consacre l’essentiel de mon temps à la Fondation Solar Impulse. Le projet est ambitieux : sélectionner et promouvoir 1 000 solutions qui rendent la planète plus propre tout en favorisant la création d’emplois et le profit économique. Autant de contributions existantes, directes, efficientes. Les innovateurs nous adressent leur dossier, nos experts le labellisent, avant que nous le soumettions à des investisseurs et aux autorités compétentes dans le monde entier.

Combien de « solutions » pouvez-vous aujourd’hui offrir ?
Créateur de tentations

BP Nous avons déjà labélisé 545 propositions qui couvrent un large éventail d’activités, de l’assainissement de l’eau à la mobilité, de l’énergie à la construction et aux émissions de CO_². Nous voulons que « l’esprit » Solar Impulse, notre contribution à un monde propre en disant « Oui, c’est possible ! », trouve ici mille applications très réelles.

Quelques exemples de « solutions » proposées par la Fondation ?
Créateur de tentations

BP Prenons ce boîtier tout simple qui peut équiper n’importe quel moteur thermique. Il coûte 500 euros, est facile à installer, diminue de 20 % la consommation de carburant et de 80 % les émissions de particules. Imaginez que les taxis du monde entier en soient équipés… Autres exemples, ce procédé pour transformer les déchets de plastique en matériaux de haute valeur ajoutée, ou ce filtre en céramique capable de traiter n’importe quelle eau ; ou bien le four solaire qui dispense des corvées de bois, ces panneaux voltaïques multifonctions qui alimentent aussi bien la pompe d’irrigation que le chargeur du téléphone. La liste est longue !

Comment expliquer que ces « solutions » ne soient pas mises en œuvre du jour au lendemain ?
Créateur de tentations

Le module pour moteurs est actuellement à l’essai sur l’aéroport de Nice et de nombreux filtres à eau ont déjà été installés en Afrique. Mais souvenons-nous du temps qu’il a fallu pour généraliser les pots catalytiques ! Cela dit, depuis que je suis l’ambassadeur de ces innovations, j’observe (et déplore) l’inertie que génère l’habitude, les pesanteurs administratives, la défiance face au changement, parfois même la bêtise humaine…

Rien de cela ne me fera douter de la justesse de mon combat.

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Que faire alors pour qu’aboutissent ces « solutions » dont le bénéfice semble vident ?
Créateur de tentations

BP Il l’est d’autant plus que nous veillons à ce que ces innovations génèrent une rentabilité intrinsèque en termes d’emploi, de ressources, de qualité de vie. Elles ne coûtent pas, elles rapportent. Leur réussite est inéluctable. L’expérience m’apprend qu’il convient de les proposer d’abord et, en cas de résistance, de pousser les gouvernements à les imposer.

Y a-t-il des « solutions » touchant l’univers du voyage ?
Créateur de tentations

BP/eltd_dropcaps] Bien entendu. Modifier la procédure d’atterrissage des avions en obligeant une descente constante plutôt que par pallier, généraliser le branchement électrique sur le tarmac, un logiciel qui optimise chaque vol en fonction de la météo, électrifier tous les véhicules aéroportuaires, des chariots aux bus : tout cela réduirait déjà de 20 % les émissions Et en attendant des avions électriques, la compensation des émissions de carbone. Il en coûterait 5 euros pour un vol low-cost en Europe. Dans les hôtels de bord de mer, développer le solaire et la climatisation par utilisation des eaux froides puisées à 900 mètres de profondeur (procédé SWAC). En ce qui concerne les cargos et paquebots, les doter d’une voile rigide et leur demander de réduire leur vitesse de croisière, la chute des émissions est immédiatement considérable… <blockquote class="wp-block-quote is-layout-flow wp-block-quote-is-layout-flow"> Comment ces « solutions » sont-elles accueillies par les grands de ce monde ? <cite>Créateur de tentations</cite></blockquote> [eltd_dropcaps type="circle" color="" background_color="#ddd"]BP Le problème n’est pas l’accueil. Il est toujours excellent ; qui pourrait être contre un monde meilleur ? Il est dans la mise en œuvre. Je salue le président Macron, un des plus ardents défenseurs de notre cause. Je suis en train de lui proposer, plutôt qu’affronter les problèmes en leur cherchant une solution verte, de saisir, à l’inverse, les opportunités qu’offrent les technologies innovantes et imaginer comment, où et quand les appliquer. Ce serait beaucoup plus efficient. Nous grignotons peu à peu du terrain, le combat est de longue haleine, nous serons persévérants

Qu’est-ce que le confinement vous a appris ?
Créateur de tentations

La démonstration est simple : la baisse observée des émissions de CO² de 8 % est liée à un effondrement de l’économie mondiale. Ce constat met un terme aux utopies de la décroissance qui générerait un chaos social indescriptible. Mais je ne prône bien sûr aucunement la croissance quantitative illimitée.

Je milite pour une croissance qualitative, vertueuse, capable de créer des emplois et du profit en remplaçant ce qui pollue par ce qui protège l’environnement.

Aujourd’hui il est encore légal de gaspiller, de polluer l’eau, l’air et les sols. C’est cela qu’il faut changer pour attirer toutes les nouvelles solutions sur le marché.

N’êtes-vous pas perplexe en observant les manifestations massives qui se déroulent dans le monde entier contre le racisme et les violences policières, alors que l’environnement, le vert, l’urgence climatique ne provoquent que peu de réactions… ?
Créateur de tentations

Des causes immédiates génèrent des réactions légitimes. J’approuve ces combats. L’environnement n’offre pas cette immédiateté. Le réchauffement climatique, la dégradation de l’environnement, sont des processus lents. Pourvu que la révolte ne sonne pas quand il sera trop tard… ! L’alerte continue que maintiennent les médias est essentielle.

Que pensez-vous d’Elon Musk, l’homme qui, comme vous, aime repousser les frontières ? Un projet commun est-il envisageable ?
Créateur de tentations

BP Nous nous sommes rencontrés plusieurs fois. J’admire l’homme, génie visionnaire, entrepreneur d’exception. Nous avons participé à des réunions avec les ministres de l’énergie des pays de l’Europe et nous sommes en phase sur les grands principes. Son but est commercial, le mien est un engagement bénévole à travers une fondation, mais nous tirons tous les deux du même côté de la corde.

À bord de Solar Impulse, écoutiez-vous de la musique ?
Créateur de tentations

BP Oui, pour mettre encore plus en valeur les paysages merveilleux que je survolais. J’ai adoré Era et spécialement le morceau Ameno qui me faisait voler encore plus haut au-dessus des déserts dans le Breitling Orbiter 3… Je me souviens aussi, au-dessus de l’Atlantique avoir chanté à tue-tête avec Rod Stewart sur « I am sailing ». À un moment, il change pour « I am flying ». Mais l’équipe au centre de mission à Monaco me disait que si je pilotais comme je chantais, j’allais m’écraser !…