Patrice Leconte
« JE PENSE AU CINÉMA DU MATIN AU SOIR »
C’est dit. Patrice Leconte, trente films à son palmarès, est un accro du grand écran. On l’imagine donc achetant son pain caméra à la main, marchant avec l’obsession de ses prochains plans, rêvant de voyages sur le mode repérage. Erreur.
Car l’homme est multiple. Cinéaste, certes, mais façon créateur d’images, regard calibré grand angle ou bien zoom, alimenté par un fourmillement d’idées, de rencontres, d’ailleurs réels autant qu’imaginés, d’observations, un détail, une situation, une phrase dans un bouquin, une conversation, la douceur d’une risée de printemps… Le cœur de ce touche-à-tout bat la mesure du tourbillon permanent qui l’alimente.
Patrice Leconte est d’abord metteur en scène de cinéma, soit. Multi-styles, méticuleux, il cadre lui-même chacun de ses plans, applaudi. Des millions de spectateurs ont adoré les trois opus des Bronzés, ainsi que L’Homme du train, La Fille sur le pont, Ridicule, Les Spécialistes, Monsieur Hire, Une chance sur deux, etc. Un signe ne trompe pas, toutes les belles gueules du cinéma français se bousculent sur ses génériques : Delon, Paradis, Rochefort, Hallyday, Auteuil, Luchini, Binoche, Casta, Belmondo, Noiret, Lanvin, Jugnot, Coluche… Clairement, on ne résiste pas à l’appel de Leconte.
Lui reste-t-il un peu de temps, il met alors le théâtre en action. Ornifle, ou le courant d’air de Anouilh, Grosse chaleur, de Ruquier, Correspondance de Groucho Marx, Ouh ouh d’Isabelle Mergault, Je l’aimais de Anne Gavalda. Sans oublier qu’il fut également auteur de bandes dessinées, contribuant au succès de Pilote, aux côtés de la coccinelle de son ami Marcel Gotlib avant de publier plusieurs albums. Entre deux, il signe des romans, Les Femmes aux cheveux courts, Riva Bella, Le Garçon qui n’existait pas, Louis et L’Ubiq, Le Dictionnaire de ma vie et on en passe. Ouf.
Les années filent, son tonus garde le cap, les idées fourmillent, les projets aussi. Rendez-vous en février prochain sur le tournage de Maigret et la jeune morte, l’adaptation d’un Simenon, un de ses héros. Il livre alors un nom, sourit et savoure par avance le plaisir de travailler avec un géant : « Gérard Depardieu ». Evidemment. Signé Leconte.
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Voyagez-vous beaucoup ? Est-ce une source d’inspiration pour votre cinéma ?
Créateur de tentations
PL Patrice Leconte. J’ai couru le monde comme un fou à une certaine période, car je tournais de nombreux films publicitaires. Il fallait se rendre au Japon, au Canada, en Afrique du Sud, à Singapour, aux États-Unis… C’était incessant. J’avoue que ces déplacements ne m’ont pas fasciné car j’y allais pour travailler et non pour me balader, et surtout parce que j’y allais seul. Or, si je ne peux partager mes émotions, je suis frustré, désemparé…
Vous avez compensé en tournant à l’étranger ?
Créateur de tentations
PL Assez peu, finalement, oui, avec La Veuve de Saint-Pierre en Nouvelle-Écosse (Canada) ou pour réaliser La Fille sur le pont qui nous a conduits jusqu’à Istanbul sur le pont de Galata. Superbes souvenirs que ces deux films !
Et à titre privé, aimez-vous partir main dans la main avec votre épouse ?
Créateur de tentations
PL . C’est le grand bonheur ! Nous avons découvert ensemble l’Argentine, le Cambodge, la Birmanie, Sri Lanka, Panama, les États-Unis, le Bhoutan et j’en oublie. J’inscris sur la liste de nos envies le Laos, l’Île de Pâques, l’Islande, l’Ouzbékistan…
PLVos plus gros chocs ?
Créateur de tentations
Plusieurs niveaux d’émotion me viennent à l’esprit. La plus personnelle reste ma capacité à rester des heures devant les chutes d’Iguaçu ou du Niagara, juste à regarder tomber l’eau, je suis alors hypnotisé. La seconde naît de la beauté qui m’entoure et je la vis en Birmanie, un pays où j’écarquille en permanence les yeux devant les couleurs, les sourires, l’harmonie qui règne partout, avec une apothéose à Bagan, la vallée des mille pagodes que nous avons eu la chance de survoler au petit matin à bord d’une montgolfière, alors que les brumes se dispersent lentement et qu’émergent peu à peu les flèches des stupas. L’image est inoubliable. Enfin, une émotion pure, poignante, à la fois cruelle et pleine de douceur, celle que j’ai reçue en visitant le Cambodge, un pays où le charme apparent cache les cicatrices du passé. Du coup, j’avais besoin de témoigner et de tourner. Un an plus tard, je l’ai fait en réalisant Dagora.
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Y a-t-il un cadre qui vous inspire pour un prochain film ?
Créateur de tentations
PL Dans mes cartons, je cache un projet qui me tient à cœur, le scénario est bouclé et l’affaire est en cours, direction le désert du Wadi Rum en Jordanie, une région minérale de toute pureté. J’ai hâte. Mais auparavant, je tournerai à Paris l’adaptation d’un polar de Georges Simenon, un de mes auteurs préférés, Maigret et la jeune morte. Pour la première fois, je vais travailler avec Gérard Depardieu. J’ai hâte de filmer cet acteur génial, cabossé et fragile.
PLJustement, vous confiez souvent que vous détestez les conflits et les situations de violence. Est-ce compatible avec la direction d’acteurs connus pour leur forte personnalité ?
Créateur de tentations
Franchement, sur mes plateaux, les affrontements sont très rares. Je crois que c’est dû au fait que systématiquement, dès le premier jour de tournage, je tombe amoureux de mes actrices ainsi que de mes acteurs. J’ai alors avec eux une relation totalement affective au point qu’après le clap de fin, je me retrouve le cœur brisé. Comprenez qu’on ne peut sortir indemne d’une relation aussi intime qu’exige un tournage, avec Vanessa Paradis, Sandrine Bonnaire, Philippe Noiret, Jean Rochefort, Jean-Pierre Marielle et tant d’autres, toutes et tous des géants face à la caméra.
À l’heure de la pause en famille, où êtes-vous ?
Créateur de tentations
PL Nous avons une maison dans un petit village de la Drôme, notre refuge, le cocon de notre couple avec nos deux filles et leur tribu. Ce lieu que j’adore libère mon imaginaire, surtout lorsque je pars faire mon tour quotidien à vélo, une cinquantaine de kilomètres, en pleine campagne. Alors, entre la solitude, l’effort et le cadre provençal, les idées se bousculent, s’enrichissent, les problèmes se résolvent, la lumière jaillit. Vive le vélo !
PLVous avouez souvent votre affection pour la musique de variété française. Vous avez du reste fait tourner Vanessa Paradis, Johnny Hallyday, Bashung, Jane Birkin, Patrick Bruel… Mais sans utiliser leurs chansons en bande-son. Comment gérez-vous la musique dans vos films ?
Créateur de tentations
Contrairement à beaucoup de mes confrères, je collabore dès le départ avec le compositeur que je choisis. Pas question de lui présenter le film terminé et de lui demander d’habiller l’histoire après-coup comme s’il s’agissait d’un simple accessoire. Un film est un tout, global, un travail d’ensemble, musique incluse. J’aurais été incapable de tourner Les Oiseaux, un film sans la moindre note… Quant à la variété française, oui, j’avoue, j’aime. Je pourrais écouter des heures le Si Maman, si de France Gall. Sans parler de la sublime version de Coluche, avec Michel Berger au piano.
PLAvec Vanessa Paradis parmi vos actrices fétiches, vous n’avez jamais eu l’envie de réaliser une comédie musicale ?
Créateur de tentations
Des causes immédiates génèrent des réactions légitimes. J’approuve ces combats. L’environnement n’offre pas cette immédiateté. Le réchauffement climatique, la dégradation de l’environnement, sont des processus lents. Pourvu que la révolte ne sonne pas quand il sera trop tard… ! L’alerte continue que maintiennent les médias est essentielle.
Que pensez-vous d’Elon Musk, l’homme qui, comme vous, aime repousser les frontières ? Un projet commun est-il envisageable ?
Créateur de tentations
PLSi, bien sûr, mais n’en dites rien, ça se fera peut-être un jour, c’est encore un secret. ©
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